Pour un peu de tendresse Je donnerais les diamants Que le diable caresse Dans mes coffres d'argent Pourquoi crois-tu la belle Que les marins au port Vident leurs escarcelles Pour offrir des trésors A de fausses princesses Pour un peu de tendresse
Pour un peu de tendresse Je changerais de visage Je changerais d'ivresse Je changerais de langage Pourquoi crois-tu la belle Qu'au sommet de leurs chants Empereurs et ménestrels Abandonnent souvent Puissances et richesses Pour un peu de tendresse
Pour un peu de tendresse Je t'offrirais le temps Qu'il reste de jeunesse A l'été finissant Pourquoi crois-tu la belle Que monte ma chanson Vers la claire dentelle Qui danse sur ton front Penché vers ma détresse Pour un peu de tendresse
Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps A quoi bon puisque c'est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m'éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j'ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd Le temps de rêver est bien court Que faut-il faire de mes jours Que faut-il faire de mes nuits Je n'avais amour ni demeure Nulle part où je vive ou meure Je passais comme la rumeur Je m'endormais comme le bruit.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
C'était un temps déraisonnable On avait mis les morts à table On faisait des châteaux de sable On prenait les loups pour des chiens Tout changeait de pôle et d'épaule La pièce était-elle ou non drôle Moi si j'y tenais mal mon rôle C'était de n'y comprendre rien
Dans le quartier Hohenzollern Entre la Sarre et les casernes Comme les fleurs de la luzerne Fleurissaient les seins de Lola Elle avait un cœur d'hirondelle Sur le canapé du bordel Je venais m'allonger près d'elle Dans les hoquets du pianola.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Le ciel était gris de nuages Il y volait des oies sauvages Qui criaient la mort au passage Au-dessus des maisons des quais Je les voyais par la fenêtre Leur chant triste entrait dans mon être Et je croyais y reconnaître Du Rainer Maria Rilke.
Elle était brune elle était blanche Ses cheveux tombaient sur ses hanches Et la semaine et le dimanche Elle ouvrait à tous ses bras nus Elle avait des yeux de faïence Elle travaillait avec vaillance Pour un artilleur de Mayence Qui n'en est jamais revenu.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Il est d'autres soldats en ville Et la nuit montent les civils Remets du rimmel à tes cils Lola qui t'en iras bientôt Encore un verre de liqueur Ce fut en avril à cinq heures Au petit jour que dans ton cœur Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre Et toi le tatoué l'ancien légionnaire Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve On glissera le long de la ligne de feu Quelque part ça commence à n'être plus du jeu Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule train des dernières lueurs Les soldats assoupis que ta danse secoue Laissent pencher leur front et fléchissent le cou Cela sent le tabac la laine et la sueur
Comment vous regarder sans voir vos destinées Fiancés de la terre et promis des douleurs La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places Déjà le souvenir de vos amours s'efface Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri
Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenêtres Tu me rends la caresse d'être Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaître Notre histoire jusqu'à la fin
C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble
Pour la première fois ta bouche Pour la première fois ta voix D'une aile à la cime des bois L'arbre frémit jusqu'à la souche C'est toujours la première fois Quand ta robe en passant me touche
Ma vie en vérité commence Le jour où je t'ai rencontrée Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'as montré la contré Que la bonté seule ensemence
Tu vins au cœur du désarroi Pour chasser les mauvaises fièvres Et j'ai flambé comme un genièvre A la Noël entre tes doigts Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toi
Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse
Je ne sais ce qui me possède Et me pousse à dire à voix haute Ni pour la pitié ni pour l'aide Ni comme on avouerait ses fautes Ce qui m'habite et qui m'obsède
Celui qui chante se torture Quels cris en moi quel animal Je tue ou quelle créature Au nom du bien au nom du mal Seuls le savent ceux qui se turent
Machado dort à Collioure Trois pas suffirent hors d'Espagne Que le ciel pour lui se fît lourd Il s'assit dans cette campagne Et ferma les yeux pour toujours
Au-dessus des eaux et des plaines Au-dessus des toits des collines Un plain-chant monte à gorge pleine Est-ce vers l'étoile Hölderlin Est-ce vers l'étoile Verlaine
Marlowe il te faut la taverne Non pour Faust mais pour y mourir Entre les tueurs qui te cernent De leurs poignards et de leurs rires A la lueur d'une lanterne
Etoiles poussières de flammes En août qui tombez sur le sol Tout le ciel cette nuit proclame L'hécatombe des rossignols Mais que sait l'univers du drame
La souffrance enfante les songes Comme une ruche ses abeilles L'homme crie où son fer le ronge Et sa plaie engendre un soleil Plus beau que les anciens mensonges
Je ne sais ce qui me possède Et me pousse à dire à voix haute Ni pour la pitié ni pour l'aide Ni comme on avouerait ses fautes Ce qui m'habite et qui m'obsède
«Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération. Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.